Dans un contexte marqué par l’instabilité géopolitique et la nécessité croissante de réduire la dépendance alimentaire, l’Algérie s’engage dans une transformation de son secteur agricole. Mustapha Bennaoui, expert agricole reconnu, ancien directeur général de l’Office national des terres agricoles (ONTA) et directeur des services agricoles dans plusieurs wilayas, livre son analyse sur l’introduction de nouvelles cultures auprès de nos confrères de Horizons. Pour lui, ces nouvelles productions pourraient jouer un rôle stratégique dans la sécurité alimentaire du pays.
Interrogé sur les motivations derrière l’introduction de nouvelles cultures telles que le maïs, le colza, les oléagineux et la betterave sucrière, Mustapha Bennaoui évoque l’importance de se concentrer sur les besoins alimentaires stratégiques. Il explique qu’en dépit de la diversité des filières agricoles en Algérie, le pays n’a pas atteint l’autosuffisance dans toutes les productions, notamment celles qui nécessitent des importations massives.
Selon lui, depuis l’arrivée du président Tebboune en 2019, l’État a mis l’accent sur un recentrage de l’agriculture pour répondre à ces besoins stratégiques, notamment en ce qui concerne le blé, le sucre et les huiles. La production céréalière dans le Grand Sud, avec des périmètres agricoles industriels, est un exemple emblématique de cette stratégie. « Nous avons un besoin annuel de 10 millions de tonnes de blé tendre pour une population de 46 millions d’habitants », précise Bennaoui. Le pays dépend également des importations en sucre et en huile, ce qui a motivé l’introduction de cultures comme la betterave sucrière et les oléagineux.
Malgré les défis inhérents à l’introduction de nouvelles cultures, les premiers résultats sont prometteurs. Dans certaines régions, la production de blé atteint des pics de 40 à 90 quintaux par hectare, des chiffres « très positifs » selon Bennaoui, qui souligne l’importance de consolider ces performances. La culture de la betterave sucrière montre également des résultats remarquables, notamment à Ouargla, où des tubercules de 8 à 9 kg ont été obtenus, des rendements inédits en Algérie.
Le développement de ces nouvelles cultures ne se limite pas seulement à la production alimentaire. En effet, une partie de la betterave est destinée à l’alimentation animale, répondant ainsi aux besoins d’un cheptel important. Cette synergie entre cultures alimentaires et fourragères contribue à renforcer l’autonomie alimentaire du pays.
Cependant, cette révolution agricole ne se fait pas sans obstacles. Le climat saharien et les infrastructures limitées posent des défis majeurs. « La gestion de l’assiette foncière est un problème crucial », souligne Bennaoui, en évoquant les 2,1 millions d’hectares de parcours dégradés dans le sud, qui pourraient pourtant nourrir jusqu’à 30 millions de têtes ovines.
En outre, la question des infrastructures d’accompagnement, notamment les routes et l’électrification agricole, est un enjeu de taille dans ces régions. Bennaoui insiste sur l’importance de l’électrification pour résoudre les problèmes d’approvisionnement en gasoil, essentiels au fonctionnement des systèmes d’irrigation pivot, qui sont largement utilisés dans le Sahara algérien.
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La formation des agriculteurs est un autre aspect crucial de cette transformation. Bennaoui distingue deux catégories principales : les agriculteurs traditionnels du Nord et les industriels récemment impliqués dans l’agriculture. Si ces derniers disposent des moyens pour recruter des spécialistes et se former, il reste essentiel de redynamiser les institutions de formation et de vulgarisation, notamment les chambres d’agriculture et les directions de services agricoles, pour accompagner les exploitants dans l’adoption de techniques modernes.
Pour Bennaoui, la sécurité alimentaire est un objectif dynamique, susceptible d’évoluer en fonction des aléas climatiques et des conditions économiques. La stratégie actuelle, basée sur une agriculture diversifiée et orientée vers les besoins réels du pays, semble répondre aux enjeux posés par la crise mondiale.
L’Algérie, riche de son potentiel agricole, semble déterminée à renforcer son autonomie alimentaire. Grâce à des politiques agricoles ciblées et des efforts accrus dans la formation et les infrastructures, le pays aspire à bâtir une sécurité alimentaire durable, tout en réduisant sa dépendance aux importations.